Sommaire
Remerciements 5 Avant propos 7
Retour sur l’île aux volcans ! 11
Le Snæfellsnes 27
De l’ouest au sud en passant par le geyser 57
Les charmes du Reykjanes 119
Les itinéraires jour par jour 136
Quelques uns des itinéraires de randonnées 140 Bibliographie sommaire 142 Annexe technique 143
Quelques remarques générales 143
Remerciements
Un grand merci à Jeanet Dekker, avec qui je partage mes aventures en Islande et ailleurs. Son carnet de note scrupuleusement rempli lors de chacune de nos étapes m’a permis de ne rien oublier d’important lors de la rédaction de ce carnet de voyage.
Un grand merci aussi à David Morichon, qui a amicalement relu et corrigé le manuscrit et sans qui la mise en page ne serait pas aussi aboutie.
Lever du jour au Seltjarnarnes, à deux pas de Reykjavik.
Avant-propos
Pourquoi Le froid de là-bas ?
Parce que, s’il n’y fait jamais chaud à aucune saison, là-bas, en Islande, en hiver, il y fait encore plus froid !
Mais aussi parce que, dans mes Pyrénées-Orientales d’adop– tion, le froid d’ici, la fred d’aqui, est un sujet qui a déjà été traité par deux photographes talentueux, Thomas Roger et Frédéric Larrey. Ce titre est donc à la fois un clin d’œil, un hommage, et un euphémisme.
L’Islande… Avec Jeanet, nous l’avions déjà parcouru en 2010, 2012 et 2013, totalisant plus de trois mois d’exploration en mai, juin, fin août et septembre. Il manquait un maillon essentiel à notre connaissance du pays : son hiver ! Nous en parlions régulièrement, sans toutefois en préciser le projet. Ces velléités ont pris fin lorsque Jeanet, début décembre 2014, m’informe qu’elle a repéré que les billets d’avion pour Reykjavik n’étaient vraiment pas chers les prochaines semaines !
Ça a été le déclic ! Il restait le choix de la période : en consultant les tarifs et en les croisant avec nos disponibilités, les périodes les plus avantageuses se résumaient à un séjour de
quinze jours en mars ou un séjour de trois semaines à cheval sur les mois de janvier et de février. J’avais un à priori favorisant le mois de mars : les journées sont plus longues. Jeanet, au contraire, préférait découvrir les longues nuits boréales… Comme deux semaines, compte-tenu de notre manière de voyager, c’était vraiment trop court, je me ralliais rapidement à sa préférence.
Notre manière de voyager… Ce coup–ci, bien qu’amateurs de camping sauvage, nous n’amènerons pas la tente. Pour le reste, ce sera conforme : pas de programme prédéfini, sauf le périmètre du voyage. Donc pas de réservation d’hébergement, sauf pour les premiers et derniers jours. Critère pour la location de la voiture : la moins chère possible ! Nous avons toujours préféré partir longtemps en optimisant les dépenses, budget limité oblige.
La nouveauté pour cette année, c’est de nous être équipé d’une tablette. Nous n’aimons pas être envahis par les soi-disant progrès technologiques, notre équipement photographique en étant la notable exception. Nous n’avons jamais eu de téléphone portable et nous ne l’avons jamais regretté. Mais avec ce voyage hivernal aux latitudes boréales, la donne est différente.
Sans tente, cela signifie qu’il faudra trouver un hébergement pour chaque nuit : l’accès à l’Internet rend la recherche fluide et efficace. Les prévisions météorologiques et l’état des routes sont une préoccupation quotidienne, et là encore, l’accès aux sites http://en.vedur.is/ et http://www.vegagerdin.is/ est essen- tiel pour optimiser les activités au jour le jour. Accessoirement, la tablette permet aussi de connaître les prévisions d’aurores boréales avec efficacité grâce aux liens http://en.vedur.is/wea- ther/forecasts/aurora/ ou http://services.swpc.noaa.gov/images/ aurora-forecast-northern-hemisphere.png…
Aiguilles de Reynisdrangar.
Mardi 20 janvier 2015
En transit
Retour sur l’île aux volcans !
Départ de Perpignan par le TGV de 7 h 40, arrivée gare de Lyon vers 13 h. Nous profiterons du reste de la journée pour visiter la famille… Mon beau-frère Michal nous montre le clip tourné lors de son raid à ski et pulka en mars 2014 dans le nord de l’Islande, raid suivi de l’ascension du Hvannadalshn- júkur (2 110 m), point culminant de l’île : impressionnant, nous ne jouons pas dans la même catégorie !
Mercredi 21 janvier En route pour Reykjavik !
Départ pour Roissy et vol sur Wow air. Arrivée à Keflavik à 14 h 45 heure locale. Une employée de l’agence Sixt nous attend, nous la suivons après avoir changé nos euros. Les paysages sont un peu
poudrés , et nous remarquons de gros tas de neige qui ont été poussés le long des parkings de l’aéroport. Nous récupérons la Chevrolet Spark : c’est la troisième fois que nous louons ce modèle à la même agence. Ses atouts sont : son prix à la journée imbattable, son relatif confort et sa consommation raisonnable. Son inconvénient majeur : le coffre est tellement petit qu’il ne peut accueillir qu’un gros sac à dos.
Ce n’est pas si gênant puisque nous disposons de la banquette arrière pour stocker notre matériel.
Fidèles à nos habitudes, nous filons faire de grosses courses au supermarché Bónus de Njarðvík, à quelques kilomètres de l’aéroport. Nous rejoignons ensuite Reykjavik à la nuit tombante (il est 16 h 30) et nous trouvons facilement la guesthouse
le Sölfarid.
les rues animées de Reykjavik.
Andrea, située à quelques pas de la cathédrale dans une rue bien pentue. Les manœuvres pour se garer sur la glace se dé- roulent sans froissement de tôle : les pneus neige sont efficaces. Nous nous installons dans une chambre très simple mais équipée d’une kitchenette. Nous avions réservé de France cette chambre pour quatre nuits. Son prix est équivalent à celui de l’auberge de jeunesse pour deux personnes, avec l’intimité en prime. Nous préparons notre dîner et au menu, il y a bien entendu du saumon : il faut bien fêter notre retour sur notre île préférée ! Impatients, nous partons ensuite sous la pluie fine et les bourrasques pour une promenade nocturne dans Reykjavik, qui est encore décorée de toutes les illuminations des fêtes de fin d’année. Le centre-ville est très animé, les bars et les restaurants sont pleins.
Jeudi 22 janvier Visite de la capitale
Petit déjeuner scandinave en self service à l’auberge Aurora : nous voilà d’attaque pour la journée ! Randonnée urbaine au programme. Nous passons par la cathédrale de Reykjavik pour rejoindre face à la mer le Sölfarid, emblématique sculp- ture de Jón Gunnar Árnason stylisant un drakkar. Puis nous rejoignons le palais des concerts Harpa qui jouxte le port de plaisance, extraordinaire bâtiment que nous avions découvert lors de sa construction en 2010. En 2012 et 2013, nous l’avions revu, mais il faisait jour. Nous ne nous doutions pas du spectacle qu’il offre la nuit : de grandes vagues de lumière rouge ou verte traversent sa façade aléatoirement, suggérant les aurores boréales. Ce bâtiment est un véritable bonheur pour les photographes ! Les premières lueurs du jour apparaissent vers dix heures, atténuées par un ciel lourd. Après un rapide passage à l’office de tourisme, nous rejoignons le Tjörnin, ce vaste étang au pied de la vieille ville. Il est dégelé en surface et les reflets du soleil levant nous enchantent. Nous rejoignons l’incontournable musée national d’Islande, retraçant l’émergence
de la nation islandaise, du débarquement du premier viking jusque la déclaration d’indépendance du 17 juin 1944. Le musée foisonne de pièces archéologiques et d’informations interactives, si bien qu’une journée entière ne suffira pas au visiteur passionné d’histoire. Un reproche : l’ambiance trop sombre ne favorise pas la lecture des très intéressants com- mentaires. Nous quittons le musée à 16 h 30 avec le sentiment d’avoir survolé certaines parties : probablement nous revien- drons à l’occasion d’un prochain voyage. Nous repassons au Tjörnin où des passants ont attiré des cygnes chanteurs avec des croutons de pain. Le spectacle de ces magnifiques oiseaux déambulant sur la glace au crépuscule est magique ! Nous rejoignons prudemment la guesthouse, en slalomant entre les plaques de glace qui couvrent une bonne partie des trottoirs et des rues. À certains endroits, nous sommes contraints de traverser des patinoires en pente. Nous ne sommes pas aussi à l’aise que les autochtones. Après le dîner, nous repartons nous plonger dans l’ambiance chatoyante de la capitale.
Cygnes chanteurs sur le Tjörnin.
ReykjavVendredi 23 janvierik sous la neige
Cette nuit, il a neigé et une fine couche blanche enveloppe Reykjavik. Notre projet de retourner au Tjörnin photographier
les cygnes sur la glace tombe à l’eau car l’étang est couvert de neige. Maintenant, il neige à gros flocons et nous en pro- fitons pour aller humer l’ambiance du port. Nous achetons un gratte-givre, car Sixt n’a pas daigné équiper notre voiture de cet indispensable accessoire : un peu « rat », quand même ! Nous retournons déguisés en bonhomme de neige à la gues- thouse pour déjeuner avant de filer à Skarfabakki. C’est l’em– barcadère pour Viðey, cette île située à quelques encablures de Reykjavik et que nous avons envie de découvrir. La conduite sur neige ne se passe pas trop mal, j’ai de toute manière intérêt à m’entrainer un peu avant que nous ne partions dimanche vers la péninsule du Snæfellsnes. L’embarcadère est désert, et après un moment d’attente, nous constatons qu’il n’y a pas de traversée le vendredi en hiver : ce n’est pas grave, nous re– viendrons demain. Avant de quitter les lieux, nous rejoignons le phare à l’extrémité de la jetée, alors qu’une éclaircie nous illumine. Le vent est violent, l’air est glacial, les lumières sont crues : on se sent vivre ! Nous retournons en ville et décidons une promenade le long de la côte sud de Reykjavik, pas loin de l’aérodrome dédié aux vols domestiques. Les lumières sont belles, mais les vues sont banales, si bien qu’au bout d’une
heure passée dans la neige et les bourrasques, nous décidons de retourner en ville prendre à nouveau des images du Sölfarid et du Harpa : les arrières-plans sur les sommets enneigés de l’autre côté de la baie sont baignés d’une lumière sublime… Sur le chemin du retour, nous visitons Hallgrímskirkja, la mo- derne et emblématique cathédrale de Reykjavik. On ne peut pas à proprement parler d’un beau bâtiment, mais il est quand même impressionnant avec sa façade représentant des orgues de basalte qui s’élance 75 m au dessus du parvis.
Palais des spectacles Harpa.
En haut : à gauche, phare de Grótta viti ; à droite, plafonds du Harpa.
En bas : à gauche, Oies cendrées et cygnes chanteurs aux abords du Tjörnin ; à droite : jetée du Skarfabakki.
Samedi 24 janvier
L’île sauvage de Viðey, à deux
brasses de la capitale
Durant la nuit, tempête de neige sur Reykjavik… Mais au
matin, la nouvelle couche n’est pas suffisamment épaisse pour nous empêcher de circuler. Avant le lever du jour, nous rejoi- gnons le Seltjarnarnes, cette presqu’île qui se prolonge à ouest de la capitale. Notre intention est de prendre en photo en pose longue la mer qui déferle sur l’isthme reliant la côte au phare de Grótta viti. Au jour levant, nous quittons les lieux pour re- joindre la ville. Nous visitons le marché aux puces qui jouxte le port, qui, mis à part quelques étals de beaux pulls islandais et de pâtisseries locales, est plutôt banal. Par mauvais temps, on peut y passer un moment intéressant en immersion avec la
population locale. Nous sommes étonnés : le poissonnier n’y vend que du poisson surgelé, alors que nous nous trouvons à deux pas du port! Nous rejoignons ensuite Skarfabakki pour embarquer sur la première vedette de la journée à destination de Viðey. Nous ne disposons que de trois heures sur l’île si nous ne voulons pas rater la dernière rotation. Nous en entre- prenons le tour par des sentiers balisés. L’île est très sauvage, très peu aménagée et la nature « sauvage » contraste avec les buildings de Reykjavik qui s’alignent le long du littoral à seu– lement quelques kilomètres d’ici. L’île est couverte de prairies dont la végétation orangée contraste vivement avec les grèves couvertes de noirs galets de basalte et avec la mer couleur vert émeraude. Des centaines de cormorans perchés sur un îlot voisin sèchent leurs ailes au vent, trois oies cendrées décollent à nos pieds et un fou de Bassan croise au large. Au nord, les versants enneigés des contreforts du mont Esja (914 m) offre une dimension montagnarde à cette ballade insulaire. Une forte houle de nord ouest déferle le long de la côte et les em- bruns s’élèvent à rebrousse poil sous un vent d’est soutenu. Nous rentrons très satisfaits bien que transis à Reykjavik. Il neige de nouveau mais la soirée finira sous la pluie.
De retour à l’auberge, nous préparons notre départ prévu le lendemain matin pour Rif, au nord ouest de la péninsule du Snæfellsnes. Les prévisions météorologiques ainsi que l’état des routes ne sont pas bonnes pour dimanche. De fortes précipitations et une tempête de sud sont attendues dans l’après midi alors qu’une bonne partie de l’itinéraire prévu est classée slippery (glissant) par le site vegagerdin. L’itinéraire par la route 574 contournant la péninsule par le sud est quant à lui impassable… Nous sommes avertis, nous emprunterons la route 56 par la montagne !
Ile de Viðey : oies cendrées devant le massif de l’Esja.
Ile de Viðey : au premier plan, l’isthme séparant l’ile en deux parties.
Dimanche 25 janvier Avis de tempête sur le Snæfellsnes
Le Snæfellsnes 1
Nous prenons notre dernier petit déjeuner à l’auberge Aurora. Le propriétaire s’enquière de nos projets. Il nous conseille d’être extrêmement prudents car il sait que des vents forts sont prévus : lorsque l’on roule sur neige ou sur glace, les violentes rafales dévalant des versants peuvent brutalement dévier la voiture et la précipiter hors de la chaussée. Nous prenons bonne note de ses conseils, déjà que la conduite sur neige ne fait pas partie de mes spécialités… Jusque Borgarnes, la route est plus que correcte, mais lorsque nous empruntons la route 54, nous réduisons la vitesse car elle est couverte soit de glace, soit de neige. Les paysages enneigés sont de plus en plus beaux et les arrêts photos se succèdent. Nous appro- chons un troupeau de chevaux islandais qui semblent s’en– nuyer profondément dans leur prairie drapée de blanc. Notre visite les sort de leur torpeur un moment, ils viennent à notre rencontre. Après cette pause, nous bifurquons ensuite pour
1 Des cartes traçant les itinéraires parcourus jour par jour se trouvent en fin de document.
Le Kolgrafafjörður.
la route 56 et commençons l’ascension qui permet de traver- ser la péninsule du Snæfellsnes par la montagne. Le chasse neige a dû passer il n’y a pas longtemps, la conduite est assez sûre mais la météo se dégrade. Le vent s’amplifie et bientôt il est accompagné de bourrasques de neige. Enfin nous en- tamons la redescente vers le Breiðafjörður et en passant nous reconnaissons le Horn, sommet que nous avions gravi il y a quelques années. Nous bifurquons vers l’ouest pour suivre la route 54. Face à nous, le ciel prend une tournure dramati- que : la tempête annoncée semble s’acharner sur l’extrémité de la péninsule. Nous atteignons bientôt le Selfafjörður sous des lumières extraordinaires. Les arrêts photo se succèdent jusqu’à Grundarfjörður, mais maintenant la pluie coule à flot et le vent redouble de puissance. Nous nous engageons dans une petite ruelle du village qui se termine face à la grève où nous nous arrêtons pour piqueniquer. Bien abrités dans
notre voiture qui gigote sous les rafales, alors que nous dé- gustons nos sandwichs au pâté de mouton, le spectacle des éléments qui se déchainent devant nous est dantesque. De l’autre côté de la baie, le sommet de la pyramide du Kirkjufell (469 m) est masqué par moment par les nuages qui défilent.
Nous reprenons prudemment la route sous les bourrasques de neige jusqu’à Rif, et nous trouvons facilement le Freezer Hostel où nous avons réservé pour les trois nuits suivantes. Cette auberge de jeunesse est installée dans un inattendu hangar de couleur rouge framboise. Une immense et convi- viale salle de séjour est occupée par de nombreux canapés et tables. Le jeune aubergiste est aussi auteur et acteur de théâ- tre : il a aménagé une partie du hangar en salle de spectacle. D’ailleurs, il nous invite à une représentation qui débute une demi-heure après notre arrivée et où il a convié les habitants du village. Il s’agit de l’avant–première de sa dernière créa– tion ! Bien que nous ne comprenions l’islandais et qu’il fasse un froid de canard, nous ne nous sommes pas ennuyés un instant, tellement la mise en scène et le jeu des acteurs est explicite. Nous finissons la soirée en jouant au scrabble, ver- sion locale : les lettres k, y, j et ð abondent, ce qui ne facilite pas la composition de mots !
Église de Ingjaldshóll.
Nous reprenons prudemment la route sous les bourrasques de neige jusqu’à Rif, et nous trouvons facilement le Freezer Hostel où nous avons réservé pour les trois nuits suivantes. Cette auberge de jeunesse est installée dans un inattendu hangar de couleur rouge framboise. Une immense et convi- viale salle de séjour est occupée par de nombreux canapés et tables. Le jeune aubergiste est aussi auteur et acteur de théâ- tre : il a aménagé une partie du hangar en salle de spectacle. D’ailleurs, il nous invite à une représentation qui débute une demi-heure après notre arrivée et où il a convié les habitants du village. Il s’agit de l’avant–première de sa dernière créa– tion ! Bien que nous ne comprenions l’islandais et qu’il fasse un froid de canard, nous ne nous sommes pas ennuyés un instant, tellement la mise en scène et le jeu des acteurs est explicite. Nous finissons la soirée en jouant au scrabble, ver- sion locale : les lettres k, y, j et ð abondent, ce qui ne facilite pas la composition de mots !
Lundi 26 janvier
Sur les flancs du Snæfell
Lever matinal : nous sommes décidés à randonner sur les ver- sants du Snæfell, le mythique volcan cher à Jules Verne.
Après avoir ingurgité un copieux petit déjeuner, nous tentons sans succès de quitter notre place de parking, la voiture ne veut pas avancer. Un petit tour de la voiture permet de comprendre ce qui se passe. La veille au soir, je me suis garé sur une couche de neige fondante qui, ce matin, est complètement gelée et emprisonne les pneus. Avec Jeanet et l’aubergiste qui secouent la voiture, elle finit par se libérer. Nous parcourons une dou- zaine de kilomètres vers l’ouest puis vers le sud–est sur une fine couche de neige et nous nous garons à l’entrée d’une piste dont le panneau indique la direction du Snæfellsjökull. Il fait encore nuit lorsque nous avons terminé de nous équiper et nous nous engageons sur la piste avec les premières lueurs du jour. Il fait très froid et le vent est insistant mais nous gardons un rythme soutenu et nous progressons sans difficulté. Les paysages qui se révèlent peu à peu sont magnifiques. En nous retournant, nous devinons la côte à quelques kilomètres et nous avons une pensée pour les pêcheurs qui manœuvrent à cet instant sur leurs embarcations dont nous distinguons les feux de position. Tout à coup, une première puis une deuxième petites silhouet- tes blanches traversent la piste quelques mètres devant nous : deux lagopèdes alpins ! La lumière est encore très faible,
et je multiplie les photos pour espérer obtenir au moins une image nette, ce qui est loin d’être acquis avec une focale de 300 mm au 1/25e de seconde. Les oiseaux, peu farouches, continuent à picorer des brins d’herbe jusqu’à ce que je m’accroupisse pour changer de point de vue : ils décollent alors sans préavis… La pénombre s’est maintenant dissipée, la pente s’est redressée, et maintenant le vent se renforce. Les rafales dévalant le versant du volcan soulèvent en tourbillons les cristaux de glace qui re- couvrent le manteau neigeux. Elles rendent notre progression de plus en plus difficile. Nous nous rapprochons peu à peu du Miðfell mais nous devons nous arrêter durant chaque bour- rasque pour nous retourner. Ainsi, nous évitons de nous faire gifler par les tourbillons glacés. J’aurai bien continué, mais ça aurait été de l’obstination plus que de la découverte : je me rallie finalement à l’avis de Jeanet et nous faisons demi-tour, ce coup-ci poussés par le vent. Avec le ciel plombé contrastant avec les reliefs enneigés, le spectacle de ces paysages lunaires est unique. Un lagopède décolle brutalement à notre passage. De retour à la voiture vers 12h30, nous décidons d’aller pique- niquer du côté de la baie de Skarðsvík en empruntant la petite route qui mène au cap Öndverðarnes.
En haut : à gauche, approche du Snæfell ;
à droite, lagopèdes alpins.
En bas : à gauche, bourrasques de neige sur le Snæfell ;
à droite, baie de Skarðsvík.
Une belle houle déferle sur les falaises de basalte. Nous poursuivons par une randon- née sur la route enneigée pendant quelques kilomètres. Nous repérons les petits cratères situés à faible distance vers le sud, nous les avions découverts il y a quelques années lors d’une randonnée sous le soleil… Puis nous coupons vers le nord à tra- vers d’intéressants champs de lave alors qu’il se met à pleuvoir. Nous nous rapprochons de la côte que nous suivons ensuite pour rejoindre la voiture. Nous entamons le retour vers Rif, mais à droite après Hellisandur, nous remarquons au loin une petite église dans un cadre pittoresque, perdue dans les paysa- ges enneigés. Nous y faisons un détour, il s’agit de Ingjaldshóll, lieu mentionné par plusieurs sagas et qui a donc une impor- tance historique. De retour à Rif, nous visitons le port alors qu’une pluie de plus en plus drue se met de la partie. Nous ob- servons, outre d’innombrables goélands, cormorans et eiders, un phoque qui navigue entre les chalutiers à quai. À l’hôtel, nous discutons avec un jeune et sympathique sud-africain, qui collabore avec l’aubergiste pour un projet culturel. Il regrette qu’il n’y ait pas plus de faune sauvage par ici, il n’a vu, dit-il, tout au plus trois goélands ! Il est arrivé en Islande depuis trois semaines mais visiblement n’est pas trop sorti dehors.
Mardi 27 janvier Le Kirkjufell, monument naturel
Ce matin, la tempête fait rage et la pluie soutenue n’invite pas à la promenade. Mais les prévisions météorologiques annonce une rapide amélioration ce matin. Nous partons à Grundar- fjörður où nous attendons sagement dans la voiture face à la mer que ça se calme. Et en effet, après bourrasques, chutes de grêle et même coups de tonnerre, brutalement les paysages s’illuminent, nous indiquant que le front froid est passé. Nous sortons enfin de la voiture et empruntons une piste qui s’élève vers la Kirkjufellsfossar, cette petite cascade dont le principal intérêt est qu’elle ajoute un premier plan agréable à l’incon– tournable et très photogénique Kirkjufell. Certainement cette pyramide, véritable millefeuille de basalte, figure parmi les géosites de la planète qui inspirent le plus les photographes. D’ailleurs, sur le petit parking situé en contrebas, stationnent déjà quelques voitures et un bus déverse un flot de touristes qui s’approchent maintenant de la cascade. Les trépieds sont plantés dans les névés, les cadrages se peaufinent, les appareils crépitent… Nous aussi, nous participons à ce phénomène cu- rieux, mais soudain j’en ressens l’absurdité. Chaque année, sans doute des centaines milliers d’images sont prises du même en- droit, mais pour quoi faire ?
Le projet inconscient mais partagé par tous ces photographes n’est–il que de participer à une joute planétaire via internet? Bien sûr, ces images sont nombreuses à être magnifiques (ayez la curiosité de faire une recherche avec Kirkjufell ou directement ouvrir le lien http://www.flickri- ver.com/groups/1006839@N24/pool/interesting/ qui recueille des centaines de photos du géosite : vous en aurez plein les yeux) et illustrent la beauté du monde. Je n’arrive pas à trouver de sens à cette production pléthorique d’images qui finit par donner la nausée, bien que j’en sois aussi un acteur! Après notre série de photos, nous empruntons la piste qui mène à la ferme Borg sur la presqu’île de Brimlarhöfði. Nous nous arrêtons souvent pour de nouvelles prises de vues du Kirkjufell maintenant inondé d’une lumière incroyable. D’énormes nuages défilent du sud au nord, séparés par de belles éclaircies. Le soleil étant rasant à cette saison, nous ne le verrons pas de la journée. Mais il illumine les flancs des nuages qui s’éloignent vers le nord. Ces derniers réfléchissent les rayons solaires comme d’immenses réflecteurs diffusant la lumière. Le contraste entre les premiers plans ainsi illuminés et les arrières plans noyés dans la pénom- bre des épais nuages compose d’incroyables paysages. Régu- lièrement, des giboulées glaciales viennent masquer le
Cascade de
Kirkjufellsfossar au pied du
Kirkjufell.
le Kirkjufell.
Diverses vues du Krossnes.
Mercredi 28 janvier Ambiance arctique
spectacle, mais elles ne durent jamais plus d’un quart d’heure. Nous laissons la voiture près de la ferme et nous nous dirigeons vers le phare de Krossnes. Des falaises qui dominent la baie de Sandvik, nous avons la surprise de découvrir trois surfeurs profitant de la grosse houle qui déferle ! Nous n’imaginions pas un instant que ce sport se pratiquait en Islande en hiver… Sur le chemin du retour, nous approchons d’un troupeau de chevaux qui s’est rassemblé en une masse compacte : une so– lution efficace pour se protéger des bourrasques de neige qui se succèdent alors que la prairie n’offre aucun abri. Après avoir récupéré la voiture, nous rentrons à Rif en ponctuant l’iti– néraire de nombreux « arrêts photo », tellement les paysages magnifiés par ces lumières originales nous fascinent.
Nous prenons notre petit déjeuner et discutons avec deux hôtes anglais, des « chasseurs d’aurores boréales ». Ils quittent aussi l’hôtel ce matin, et ont pour programme de rejoindre dans la soirée Vik, dans le sud de l’Islande. L’itinéraire étant large– ment enneigé ou glacé, nous trouvons leur projet ambitieux. Le nôtre est beaucoup plus modeste, du moins le trajet en voiture,
puisque nous nous rendons à Stykkishólmur, distant de seulement 72 km. Nous partons aux premières lueurs matina- les. Il fait très froid, la route a blanchi durant la nuit, il y a du vent mais par contre le ciel est dégagé. Nous nous arrêtons à la pâtisserie de Ólafsvík, qui nous avait laissé un bon souvenir en 2010. Le soleil commence à éclairer les quelques nuages, ap- portant une touche chaude aux paysages couverts de neige et de glace bleutées. Les arrêts se succèdent, tellement c’est beau. Nous retrouvons à plusieurs reprises nos anglais qui immorta- lisent le spectacle. Nous nous arrêtons une fois de plus au pied du Kirkjufell, et l’ambiance est encore différente. Le vent s’est calmé, place aux reflets dans la baie aux eaux turquoise… Un phoque s’approche à quelques dizaines de mètres puis plonge et s’éloigne. Un bruyant vol d’huîtriers–pies traverse la baie. Nous observons coup sur coup des eiders à duvet, des goé- lands marins et des grands cormorans. Un pygargue à queue blanche nous survole en altitude… L’avifaune est bien présente dans ce secteur. Au loin, les rayons solaires atteignent mainte- nant le sommet de l’Eyrarfjall. Justement, nous prévoyons une randonnée sur cette presqu’île.
Lagune de Lárvaðall
et le Kirkjufell.
Baie de Gamlavik, à l’est de Ólafsvík.
Nous bifurquons plein nord quelques kilomètres après Grundarfjörður et suivons une petite route puis une piste jusqu’à la ferme de Naust. Ici, la neige est plus épaisse et il était temps de s’arrêter. Nous avons repéré sur une carte qu’un itinéraire en boucle permet de rejoindre Eyraroddi, la pointe de la presqu’île, en passant par un réttir (trieur à bestiaux) et par une curiosité : pour le rejoindre, nous suivons une piste vers le sud, mais nous ne trouverons jamais le sentier indiqué sur la carte. Qu’importe, les vues sur l’Ur– thvalafjörður et les sommets enneigés sont superbes. La visi- bilité est suffisante pour que les escarpements de la péninsule des fjords de l’ouest, de l’autre côté du Breiðafjörður, soient identifiables. Nous identifions notamment le versant abrupt du Skarðabrún, qui culmine à 657 m. Nous poursuivons la piste vers le nord, parallèle à la côte, sans projet précis. De temps en temps, nos pas croisent ceux laissés par un renard polaire. Cette espèce reste très discrète et craintive, partout en Islande sauf dans la réserve naturelle du Hornstrandir où elle n’est plus chassée depuis des décennies. Nous repérons une vague piste qui s’élève à droite et qui semble se diriger dans la vallée séparant les sommets Klakkur et Eyrarfjall. Peut-être y a-t-il moyen de traverser la presqu’île, rejoindre son versant ouest et ainsi décrire une boucle ?
Péninsule d’Eyraroddi.
Nous suivons ces traces marquées et qui finiront par disparaître sous la neige. Mais l’itinéraire est facile et clair. Seulement nous avons sous–es– timé les distances et nous finissons par faire demi-tour : les journées sont courtes et le soleil, qui nous a accompagné tout au long de la randonnée, a désormais disparu sous la crête de l’Helgrindur. Nous retrouvons la voiture et rejoignons Stykkis- hólmur. Nous avons réservé pour deux nuits dans la guesthouse Langey Homestay, qui est une maison traditionnelle plus que centenaire. Les pièces sont petites, mais il émane de chaque détail une authenticité bien islandaise : nous sommes ravis ! Le propriétaire, un géant barbu débonnaire, musicien à ses heures, est intarissable sur l’Islande et sur ses souvenirs des îles Vestmann qu’il a dû évacuer en 1973 lors de l’éruption de l’Eldfell. Nous sortons faire un tour avant que la nuit ne tom- be : il s’est mis de nouveau à neiger à gros flocons. Comme c’est mon anniversaire aujourd’hui, nous cherchons désespéré– ment un restaurant pour fêter dignement l’évènement. Fina- lement, nous ne trouverons qu’une pizzeria ouverte, attenante au supermarché… Nous ne sommes pas fanatiques de fastfood, mais nous ne sommes pas sortis déçus pour autant.
Le mont Eyrarhyma et le
Kolgrafafjörður
Différentes vues de Stykkishólmur.
Après un dernier détour sous les lampadaires et sur la neige qui couvre uniformément les rues et les jardins, nous rentrons à la gues- thouse et profitons un moment du banjo et de l’harmonica que joue simultanément notre hôte.
Jeudi 29 janvier Le musée du requin séché
Le vent a soufflé fort cette nuit, la maison vibrait sous les rafales… Notre hôte nous sert le petit déjeuner, puis avec les premières lueurs, nous partons nous balader dans la ville et au port. Beaucoup de maisons sont typiques, avec leurs couleurs gaies mises en valeur par la neige. L’ensemble urbain est pit- toresque. Nous empruntons avec prudence l’escalier couvert de glace qui mène au Súgandisey, le promontoire qui ferme le port de Stykkishólmur où trône un petit phare rouge. La vue circulaire est étendue mais comme les bourrasques sont vio- lentes et glaciales, nous ne trainerons pas longtemps là-haut. Nous projetons quelques visites à proximité de la ville, et nous rejoignons Helgafell (la montagne sacrée) en voiture par la route enneigée. Nous entamons l’ascension du sommet, et à son approche, je découvre un pygargue à queue blanche qui plane presque immobile contre le vent, à quelques dizaines de mètres de moi. Sapristi, j’ai laissé le 28-300 mm dans la voiture et sur mon boitier, je n’ai que le 18-35 mm !
Tant pis je prends quelques clichés, mais je sais que j’ai raté l’occasion de ramener de bonnes images de ce bel oiseau… Il finit de dis- paraître au loin, mais c’est la première fois qu’il m’est permis d’observer cette espèce de si près. Le Helgafell est une modeste colline qui constitue le seul relief plusieurs kilomètres à la ronde. Il offre un panorama unique qui révèle la péninsule particulièrement découpée du Þórsnes, et la multitude d’îlots qui constellent le Breiðafjörður. Nous reprenons la voiture et nous traversons les champs de lave de Berserkjahraun (datés de 3 000 à 4 000 ans). Ils sont tellement chaotiques qu’il paraît difficile de les traverser à pied. Nous rejoignons la ferme de Bjarnarhöfn, où siège le musée du requin. Plus précisément du requin du Groenland, qui est la plus grosse espèce de requin du monde : il peut atteindre 7 mètres de long, et approcher une tonne. Nous sommes accueillis par de beaux chats qui viennent à notre rencontre : la visite s’annonce sous de bons auspices… Nous commençons par découvrir une très riche collection naturaliste (nombreuses espèces de la faune locale et de minéraux) et ethnographique. Ensuite, le guide du mu- sée projette un film très bien réalisé. Nous apprenons que sa famille, depuis des générations, transforme les requins selon
Stykkishólmur.
une procédure traditionnelle. Cette activité n’est plus prati– quée qu’en deux lieux en Islande. Les requins ne sont plus pêchés par eux–mêmes, et il n’existe plus de pêche au requin à proprement parler. Lorsque des bateaux capturent acciden- tellement des requins, ils avertissent la ferme de Bjarnarhöfn. Un rendez-vous est donné dans un port et le ou les requins pêchés sont ensuite acheminés à la ferme pour être transfor- més. Les requins sont découpés puis les morceaux sont placés dans des caisses percées où ils fermentent pendant plusieurs mois et perdent ainsi leur toxicité. Ils sont ensuite suspendus un à deux mois dans un séchoir où ils s’affinent pour aboutir au produit final, le hákarl. On le débite en tranche et on le consomme à l’apéritif… Une dégustation de hákarl nous est proposée : le goût est très fort, persistant et ne rappelle rien de connu. On aime ou on n’aime pas. La visite se termine à l’extérieur par le séchoir situé à quelques dizaines de mètres de la salle d’exposition. Il recèle des centaines de kilogram– mes de quartiers de requins suspendus, en cours de séchage. Malgré le froid qui règne, une odeur prégnante se dégage de l’endroit. Nous quittons le musée satisfaits de notre visite et empruntons la route 54 vers l’est, à la recherche d’une idée de
En haut : à gauche, Berserkjahraun ; à droite, Pygargue à queue blanche. En bas : au musée du requin.
randonnée pour terminer la journée. Nous roderons jusqu’au pied de l’Eyrarfjall où nous faisons demi-tour car nous consta- tons que la couverture de neige sur la route va devenir problé- matique si nous continuons. Finalement, un peu déçus, nous ne parcourrons à pied qu’une petite boucle dans des paysages banals à l’ouest de l’Ulfarsfell… Alors que nous préparons no– tre dîner à la guesthouse, notre hôte nous offre gentiment des mets locaux à déguster : poissons séchés, boisson au malt, etc. Il nous parle de nouveau avec passion de l’Islande et des islan- dais : nous nous régalons !
Lever du jour sur le port de
Stykkishólmur.
Lever de soleil sur le Dökkólfsdalur.
Vendredi 30 janvier Enfin, une aurore boréale !
DE L’OUEST AU SUD EN PASSANT PAR LE GEYSER
Avec les premières lueurs du jour, nous ne résistons pas à une dernière déambulation parmi toutes ces jolies maisons colo- rées qui font le charme de Stykkishólmur avant de prendre la route. Notre projet pour la journée est de reprendre la route 56 pour traverser la chaine montagneuse du Snæfellsnes et de rejoindre la guesthouse de Fossatún, située sur la route 50 à une vingtaine de kilomètres à l’est de Borgarnes, où nous avons réservé pour deux nuits. La route est enneigée, mais heureu- sement le chasse–neige est passé il y a peu de temps. L’ascen– sion pour traverser le col se fait prudemment, les gros flocons altèrent la visibilité, la route est glissante. L’ambiance change brusquement une fois passé le col. Il y a toujours l’épaisse couche nuageuse mais le soleil rasant apparaît en dessous et nous éblouit de ses lueurs chaudes. Nous nous arrêtons sur le bas-côté pour profiter du tableau en blanc-rouge-noir qui se déploie devant nous. Nous reprenons la route à faible vitesse : je n’ai pas totalement confiance dans l’adhérence sur la couche
En haut à gauche, paysages de la route 54 ; en dessous,
chevaux islandais et route vers le Rauðhálsahraun .
Paysage du
Rauðhálsahraun
En haut, les alentours du Rauðhálsar ; en bas, pont de la route 53 sur la Hvítá et.lumière glaciale sur la route 52.
gelée qui couvre la chaussée, d’autant plus que la tentation est grande d’admirer les paysages enneigés sous une lumière idéale. Sur un sol glissant, la moindre erreur et on termine dans le fossé ! Des chevaux pétris d’ennui s’occupent à grigno– ter les brins d’herbe sèche qui émergent de la neige, de ci de là. Ils sortent de leur torpeur lorsque nous nous arrêtons pour les approcher : enfin, un événement, semblent-ils penser en nous rejoignant. Nous poursuivons la route puis bifurquons à gauche pour suivre la route 55 sur quelques kilomètres. Nous avons repéré sur la carte une randonnée modeste qui va nous permettre de découvrir les champs de lave et la zone volcani- que de Rauðhálsahraun. La balade, originale, commence par aborder les flancs d’un volcan, qui est un amoncellement de scories rouges. Ce matériau a fait l’objet d’une exploitation, on devine sous la neige une carrière. L’itinéraire parcourt deux cratères qui offrent une vue panoramique sur les envi- rons. Nous apercevons, une dizaine de kilomètres à notre sud, le célèbre cratère de l’Eldborg. Les paysages valent vraiment le coup, le dépaysement est total et malgré la modestie de l’ascension, nous avons l’impression d’avoir gravi un sommet alpin ! L’ambiance hivernale et les pentes gelées y sont pour
beaucoup… Nous rejoignons Borgarnes après cette promenade et en profitons pour faire quelques courses. Pour rejoindre la route 50, nous coupons par la piste 530 puis par la route 53. Le ciel s’est peu à peu dégagé, les lumières rasantes sont extraor– dinaires, mais le froid s’intensifie. Le thermomètre de la voi– ture indique maintenant -10° C, et le vent est assez fort. Nous nous arrêtons au bord de la Grímsá, qui est partiellement ge- lée, et nous profitons quelques minutes de la beauté des lieux. Ce matin, les couleurs dominantes étaient le blanc, le rouge et le noir et maintenant nous sommes immergés dans l’orange et le bleu ! Nous arrivons au coucher du soleil à la guesthouse. Les installations sont luxueuses et confortables. Nous parta- geons les lieux avec quatre voyageurs. Ce soir, les prévisions pour les aurores boréales sont très favorables et le ciel plutôt dégagé : cela promet! À 18 h 30, nous sortons dehors et elle est là ! Nous percevons clairement la lueur verte d’une aurore boréale à travers une couche de nuage d’altitude. Le spectacle est pour le moment un peu décevant, car ce nuage est éclairé par les puissantes lampes au sodium qui illuminent les serres de Kleppjárnsreykir situées à quelques kilomètres et aussis par la pleine lune ! Nous rentrons et préparons le diner, puis, je
Aurore boréale à Fossatún.
m’aperçois par la fenêtre que l’aurore est maintenant bien visi- ble. Les nuages se sont dissipés, et le ciel est bien étoilé. Nous nous équipons pour le froid, installons les trépieds sous les appareils photos et procédons aux réglages. Plusieurs bandes vertes plus ou moins parallèles, d’intensité variable, dévelop– pent des plis qui se font et se défont assez rapidement. C’est vraiment magnifique ! Nous resterons des heures à profiter du spectacle malgré le froid intense (heureusement, il n’y a plus de vent).
Diverses vues de la randonnée le long du Skorradalsvatn.
Samedi 31 janvier
Randonnée par -16°C
Le buffet du petit déjeuner est fabuleux : saumon et hareng fumés, pâtisseries maison, skyr et autres laitages nous régale- rons… Nous partons alors qu’il fait encore nuit pour explorer le Skorradalsvatn, lac d’une vingtaine de kilomètres de long et de seulement un kilomètre de large. Il occupe une des vallées glaciaires qui convergent vers le Borgarfjörður. Notre idée ini- tiale est de nous approcher de son extrémité amont en voiture et de remonter à pied la vallée pour découvrir les cascades qui, d’après la carte, se succèdent sur la Fitjaá. Nous longeons le lac gelé et dépassons une très vaste zone occupée par des sum- mer houses. Le versant sud de la vallée est couvert d’une belle
forêt de résineux qui est manifestement exploitée : nous aper- cevrons plusieurs piles de grumes puis un tracteur forestier et d’ailleurs nous suivons un moment ses traces laissées dans la neige. Plus on avance le long de la piste, plus l’épaisseur de neige augmente, si bien que la voiture commence à déra- per, à chasser. Nous sommes contraints de l’abandonner à une dizaine de kilomètres de l’extrémité du lac, ce qui modifie de fait notre programme de randonnée. Lorsque nous nous garons, le soleil émerge à peine du versant opposé et le ther- momètre annonce -16°C, mais le ciel est pur et le vent modéré. Nous ajoutons les guêtres et nous voilà partis bien emmitou- flés pour poursuivre la piste à pied. Avec le soleil levant, les arbres couverts de neige sont superbes. Rapidement, un cou- ple de runners nous dépasse : nous sommes le week-end et certaines summer houses sont occupées. Après avoir parcouru longuement une forêt, nous traversons de nouveau une zone de summer houses puis nous atteignons enfin l’extrémité du lac. De nombreuses empreintes de renards polaires traversent la piste, mais nous n’en verrons pas. Nous atteignons la rivière et nous sommes fort déçus par les cascades dont les chutes ne dépassent pas un mètre ou deux ! Mais qu’importe, l’itiné–
Randonnée le long du Skorradalsvatn : à gauxche, Skorradalsvatn et le massif du Hafnarfjall ; à droite, massif du Mùlagil.
raire était très beau. C’est l’heure du piquenique, et nous ne trouvons qu’un gros pneu de tracteur pour nous asseoir à peu près confortablement…
C’est notre premier pique–nique à l’extérieur depuis notre arrivée. Le soleil se voile progressivement et la température augmente. Comme nous marchons vite au retour, je retire progressivement des couches pour finir par me retrouver en T-shirt ! Lorsque nous rejoignons la voiture, le tracteur fores- tier déjà aperçu ce matin déboule vers nous puis s’engage sur une tire forestière qui s’élève dans la forêt. Nous rentrons à la guesthouse sous un ciel maintenant uniformément gris. Notre projet d’en tester le hot pot tourne court: le propriétaire, navré, nous informe que, suite à une mauvaise manœuvre, toutes les tuyauteries ont gelé…
Ce soir, nous avons la guesthouse pour nous tous seuls !
L’univers graphique de Belgsholtsvik.
Dimanche 1er février
Art éphémère
Nous quittons cette sympathique guesthouse sous de gros flocons. L’épisode de froid est terminé. Nous rejoignons la route N1 au sud de Borgarnes et la suivons une quinzaine de kilomètres en direction d’Akranes. Puis nous bifurquons à droite pour suivre la piste 505. Nous sommes les premiers ce
matin à nous aventurer sur cette piste, aucune trace de pneu n’est visible mais comme l’épaisseur ne doit pas dépasser les dix centimètres, il suffit d’avancer prudemment. Nous station- nons à côté de la ferme de Skálatunga, qui domine la baie de Belgsholtsvik. Nous contournons un enclos et atteignons sans difficulté la grève. La neige qui n’arrête pas de tomber recou– vre les galets mais fond rapidement sur la plage. C’est la pre– mière fois que nous voyons un tel spectacle, le graphisme de ce paysage en noir et blanc semble irréel. C’est marée basse et de petits îlots couverts de neige apparaissent dans les flots. Nous progressons lentement, pas tant par les difficultés du terrain que par les innombrables sujets photographiques qui se dévoilent devant nous! Les boîtiers crépitent! Les falaises sont par endroits tapissés de stalactites de glace, et parfois sont parcourues par des suintements couleur rouille qui contras- tent avec l’environnement en noir et blanc. Les courants ont imprimé des vaguelettes de sable sur la plage, dont les reliefs sont rehaussés par la fine couche de neige qui s’y dépose en permanence. Nous n’avions pas prévu que cette modeste pro- menade côtière nous apporte tant de satisfactions esthétiques… Après avoir parcouru quatre kilomètres de côte, nous attei-
gnons l’extrémité de la zone de falaise. Hors sentier, nous en– tamons le retour et projetons de longer le haut de la falaise. Quelques instants après avoir quitté la plage, nous entendons tout à coup des coups de trompettes : ce sont quatre cygnes chanteurs qui décollent d’un ravin avant de nous survoler puis de disparaître dans le brouillard au dessus de l’océan. La pro- gression sur la falaise n’est pas si aisée qu’espéré, et nous tra– versons plusieurs clôtures de barbelé. De nombreux fulmars nous frôlent, ils ne nous perçoivent pas comme un danger. À l’approche d’une ferme, nous décidons de rejoindre la route. Sur le chemin, nous croisons un groupe de chevaux que notre arrivée sort de sa torpeur. Ils finissent par manifester beau- coup d’intérêt pour nous et nous rejoignent au moment ou nous sortons de l’enclos. Maintenant, quelques voitures ont parcouru la piste 505, nous suivons les sillons laissés par leurs roues. Nous longeons une gigantesque porcherie ultramoder- ne lorsque nous provoquons l’envol bruyant de plusieurs cen- taines (voire un millier ?) d’oies cendrées qui gagnaient dans les chaumes… Les oies décrivent de grands cercles autour de nous puis se posent d’un coup dans un autre champ. Com- ment trouvent-elles suffisamment pour se nourrir, alors que
Au pied de la falaise de Melabakkar
Cygnes chanteurs émergeant du brouillard.
la neige couvre le sol une bonne partie de l’hiver ? Hormis les oies qui font le spectacle contre distribution de croûtons de pain dans la capitale, autour de l’étang Tjörnin, comment cette espèce peut-elle subsister ici en hiver ? Si on se réfère à Breuil (1989) ou à Bárðarson (1985), les oies islandaises hiver- nent dans les îles britanniques. Intrigué, je contacte Chloé Dépré, jeune ornithologue qui a étudié de nombreux mois le Lagopède alpin en Islande, pour lui demander ce qu’elle en pense. Elle questionne son maître de stage Ólafur K. Niel- sen, chercheur au muséum d’histoire naturelle islandais, qui lui confirme que, depuis quelques années, environ un millier d’oies cendrées hiverne sur l’île. Est-ce une conséquence du réchauffement climatique ? Après avoir récupéré notre voiture, nous rejoignons Akranes et pique-niquons dans la voiture sous un ciel sinistre. Nous nous promenons ensuite jusqu’au phare et explorons l’extrémité de la presqu’île, au risque de nous blesser tellement les rochers enneigés sont glissants.
Nous rejoignons ensuite la très recommandable auberge de jeunesse de la ville, où nous sommes pour l’instant les seuls hôtes. Nous sommes accueillis par une charmante brésilienne, footballeuse professionnelle ! Elle a signé pour l’équipe fémi-
nine de la ville, après avoir testé l’équipe de Heimey, sur les îles Vestmannaeyjar : le salaire y était meilleur mais elle trou- vait insupportable que le ballon soit systématiquement dévié par le vent, qui souffle là–bas en quasi–permanence ! Elle s’oc– cupe aussi de l’auberge de jeunesse, pour dépanner l’aubergiste durant quelques semaines.
A gauche, vol de centaines d’oies cendrées ; à droite, le phare d’Akranes ; en bas, vues d’Akranes.
Lundi 2 février Un univers blanc et bleu
nine de la ville, après avoir testé l’équipe de Heimey, sur les îles Vestmannaeyjar : le salaire y était meilleur mais elle trou- vait insupportable que le ballon soit systématiquement dévié par le vent, qui souffle là–bas en quasi–permanence ! Elle s’oc– cupe aussi de l’auberge de jeunesse, pour dépanner l’aubergiste durant quelques semaines.
Ce matin, le soleil est de retour, et il est accompagné d’un grand froid. Sur la route gelée, avec une circulation intense et en prime avec le soleil de face, la conduite est délicate… À Mosfellsbær, nous quittons la N1 pour la route 36, direction Þingvellir. Cette route est assez fréquentée par les cars tou- ristiques qui parcourent le fameux Cercle d’or, avec parmi les étapes Þingvellir où nous nous rendons. La neige tassée crisse sous les pneus, mais la couverture neigeuse de la chaus- sée est régulière, si bien que la conduite ne pose ici pas de problème. Très vite, les traces d’activité humaine s’estompent dans les paysages uniformément blancs, la visibilité excellente révèle l’immensité des espaces vierges. Quelques arrêts nous permettent de nous immerger dans un univers simplifié : un demi–univers blanc en bas, l’autre demi–univers bleu en haut,
séparés par l’horizon… Nous arrivons à Þingvellir, haut lieu culturel et historique de la nation islandaise : c’est ici que sié– geait le parlement islandais depuis la période viking et que se jugeait les affaires importantes. C’est aussi ici que le 17 juin 1944, les islandais proclamèrent leur indépendance. C’est en outre un spectaculaire géosite, où les effets de la dérive des continents se révèlent avec évidence. Le site se trouve dans le fossé d’effondrement formé par la divergence de deux cen– timètres par an entre les plaques américaine et européenne. Malgré le froid intense, les visiteurs sont nombreux à parcou- rir les allées et chemins et à découvrir les panneaux d’inter– prétation qui révèlent la richesse historique du lieu. Nous re- prenons la route en direction de Laugarvatn et de Geysir, pré- cédés par quelques voitures de tourisme qui cheminent dans la même direction. Tout à coup, ces voitures s’arrêtent au bord de la route et les passagers en sortent : une voiture occupée par deux coréens vient de rater un virage et a parcouru quelques dizaines de mètres en s’enfonçant dans la neige. Plus de peur que de mal. Dans un élan de solidarité, tous les automobi- listes tentent de pousser le véhicule tandis que le conducteur actionne la marche arrière, en vain. Je constate que le bas de
caisse repose sur la neige : peine perdue… Un américain vient de stationner et très sûr de lui, explique à tout le monde com- ment il faut faire. Mais comme il fallait s’y attendre, la voiture ne bouge pas d’un pouce… En dernier recours, les coréens de- vront appeler leur agence de location, afin que celle-ci envoie une dépanneuse les tirer de ce mauvais pas. Nous quittons les lieux un peu déçus de n’avoir pu résoudre le problème, mais l’heure tourne, il reste pas mal de route à faire et les journées sont courtes. Le blizzard latéral fait courir comme un tapis de flocons qui vole au ras du sol, ce qui est assez déconcertant pour la conduite. Nous pique-niquons dans la voiture à Lau- garvatn (malgré le soleil, il fait – 9°C), puis continuons notre route. Nous croisons pas mal de bus et de voitures qui ren- trent de Geysir. La neige sur la route est de bonne qualité, si bien que nous roulons comme tout le monde à 70 km/h. Sauf qu’à un moment, alors que la route parcourt le sommet d’un talus, la voiture fait une embardée vers la gauche sans raison apparente. Le vide approche, mais je pense que j’ai les bons réflexes : je lâche l’accélérateur, je ne freine pas et je tourne légèrement le volant sur la droite. La voiture redresse sa tra- jectoire mais maintenant traverse a route vers l’autre versant.
Ambiance arctique autour du Laugarvatnsfjall.
L’église de Þingvellir.
Le geyser Strokkur.
je redresse de nouveau alors que la voiture ralentit et finale- ment termine dans l’axe de la route… Un grand moment de frayeur qui se termine bien : avec un peu moins de chance, nous dévalions le talus, voire percutions un bus à contresens. Heureux de s’en sortir sans casse, mais avec un énorme sen- timent d’incompréhension : pourquoi cette embardée ? Une des hypothèses que nous retenons : nous avons constaté que, souvent, de la neige s’accumulait sous les ailes jusqu’à former de gros blocs. Étant donnée la température, cette neige com- pactée s’est peut–être transformée en glace, et en se détachant brutalement, un bloc aurait pu ralentir la roue un fragment de seconde, mais suffisant pour provoquer l’embardée… Après avoir repris nos esprits, nous continuons à 50 km/h, pas très rassurés… Nous arrivons à Geysir, où grouillent de nombreux touristes. Par rapport à l’été, le geyser Strokkur produit beau– coup de vapeur qui masque l’eau liquide, ce qui n’est pas très favorable pour les photographes. Mais bien sûr, le spectacle mérite le succès rencontré. Nous quittons cependant les lieux assez rapidement, un peu stressés d’avance par la distance à parcourir à petite vitesse jusqu’à Selfoss où nous comptons rejoindre l’auberge de jeunesse. Finalement, nous y arrivons
sans encombre au soleil couchant. Nous sommes déçus par cette auberge, à la fois chère et impersonnelle. Pour le même prix, nous trouverons ici une guesthouse exceptionnelle quel- ques jours plus tard ! Après le dîner, nous repartons explorer Selfoss by night. Nous aimons l’ambiance nocturne de la ville avec ses jardins où scintillent encore les décorations de Noël, ses énormes tas de neige poussés au fond des impasses, les reflets des lumières sur le fleuve Ölfusá. Pourtant, Selfoss n’est pas réputée pour son charme…
Lever de soleil sur l’archipel des Vestmannaeyjar.
Mardi 3 février La plage de Vik
Notre objectif est d’arriver ce soir à Vík, notre dernière étape vers l’est avant le chemin du retour. Mais le programme en route est assez conséquent. Le lever du jour est magnifique et nous nous arrêtons au pont traversant le fleuve Þverá. Les pre- mières lueurs atteignent le volcan Hekla couvert de neige, et sous les nuages qui s’embrasent, l’archipel des Vestmannaeyjar apparaît tout proche grâce à un curieux phénomène de mirage. Il fait jour lorsque nous arrivons à la cascade de Seljalandsfoss, et déjà quelques voitures et cars d’excursionnistes stationnent sur le parking, qui est aujourd’hui un vaste miroir. Nous nous déplaçons très prudemment en direction de la cascade et seuls les visiteurs munis de crampons sont à l’aise sur l’itinéraire. Par hasard, nous retrouvons nos chasseurs d’aurore rencontrés à Rif ! Ils rentrent satisfaits de leur séjour à Vik, avec plusieurs soirées où ils ont pu photographier des aurores. La cascade est encadrée de stalactites et les embruns qui ont gelé à son pied forment d’énormes amas de glace bleutée. Personne ne se risque à passer derrière la chute d’eau, ce que nous avions fait
à une autre saison, il faudrait un équipement ad hoc. Malgré le ciel gris, le spectacle est saisissant. Nous rejoignons la dis- crète Gljúfurárfoss, située quelques centaines de mètres plus au nord. L’originalité de cette cascade est d’être dissimulée au fond d’une très étroite gorge… Nous reprenons la route et lon- geons le célèbre Eyjafjallajökull, dont l’éruption de 2010 avait paralysé le trafic aérien de l’Atlantique nord. Nous arrivons à la Skógafoss, une des plus célèbres cascades islandaises. Elle est spectaculaire, avec une chute de plus de soixante mètres de haut et une largeur de vingt-cinq mètres. Elle est enchâssée dans un cirque tapissé de stalactites. Il y a pas mal de monde, mais miraculeusement, j’arrive à prendre quelques clichés sans personne dans le cadrage. L’étape suivante est Seljavallalaug, une piscine d’eau thermale plus ou moins abandonnée, que nous avions détectée sur internet. Nous nous engageons sur une piste couverte de neige, et après quelques centaines de mètres, nous nous inquiétons : n’est–elle pas uniquement ac– cessible aux 4×4 ? Mais pas moyen de faire demi-tour, la voie étroite est encadrée de murs de neige. Autre chose : de mé- moire, il me semblait que la piste menait d’abord à une ferme alors que pour l’heure nous nous enfonçons dans des reliefs
Trois vues du glacier
Sólheimajökull.
Le pic Hatta (512 m) à côté de Vik.
s’accentuant. Nous croisons des 4x4 qui nous frôlent : dans quelle galère nous embarquons-nous avec notre petite Spark ? Après un escarpement passé sans difficulté, nous atteignons… un parking ! Y sont stationnés des 4×4, des cars d’excursion (!!!) et quelques petits véhicules : c’est rassurant de constater que nous sommes plusieurs fous à nous être engagés sur cet itinéraire. Pas de ferme à l’horizon : nous nous sommes donc trompés d’itinéraire, mais je ne comprends pas (pour le mo– ment) pourquoi. Nous approchons d’un panneau d’informa– tion : nous sommes donc à proximité du Sólheimajökull mais pas du tout à Seljavallalaug ! Plus tard, je comprendrai mon erreur : la bifurcation était avant Skógafoss, pas après ! À défaut de piscine, nous visiterons un site glaciaire ! Nous emprun- tons un sentier bien tracé et rencontrons de petits groupes de randonneurs de retour vers le parking. Après avoir dépassé un épaulement, le glacier se révèle devant nous. Il est large- ment couvert de neige, mais de nombreuses crevasses sont ap- parentes. Nous observons des groupes de randonneurs sur le glacier, se suivant pas à pas. Nous approchons jusqu’à un pan- neau décourageant toute personne sans guide de poursuivre plus loin… Mais c’est trop tentant, nous rejoignons le glacier
La plage de Vik et les fameuses aiguilles Reynisdrangar.
et suivons un sillon dans la neige laissé par des centaines de randonneurs : si nous ne quittons pas ces traces, il ne devrait pas y avoir de danger notoire... L’itinéraire chemine entre les crevasses et des moulins de glace (puits creusés dans le glacier par l’eau de fonte). La glace est bleue intense, et contraste avec le blanc immaculé de la neige. Après une demi-heure de progression sur le glacier, nous rencontrons un groupe ac- compagné. Le guide nous tance vertement : son discours est centré sur la sécurité et sur les risques que nous encourons, mais je sais que la principale motivation de son intervention est qu’il doit justifier à sa clientèle qu’il est indispensable de prendre un guide pour s’aventurer sur un glacier. Personnel– lement, je ne recommanderai jamais à quiconque sans expé- rience de s’engager au sein d’un tel milieu mais notre incur- sion sur quelques centaines de mètres s’est strictement limité au passage le plus fréquenté. Nous avons observé des traces qui s’éloignaient de l’axe principal, ce qui nous avait semblé pour le coup très imprudent. Ceci dit, nous faisons demi-tour. La voiture a du mal à se dégager, les roues patinent, mais avec Jeanet qui pousse, elle finit par sortir des ornières : on a vite fait de rester coincé ! Nous reprenons la piste dans l’autre
sens, croisons difficilement plusieurs véhicules et reprenons soulagés la N1, direction Vík… Au fur et à mesure que nous nous approchons de ce village, la couverture de neige et de glace sur l’asphalte devient de plus en plus continue : je réduis la vitesse. La seule section qui a été salée est le passage du col du Reynisfjall. Contrairement à la France où dès qu’il y a un centimètre de neige, les sableuses entrent en action et « met- tent la route au noir », dans les pays nordiques, les routes ne sont pas déneigées totalement. L’excès de neige est déblayé par les chasse-neige et la couche conservée est tassée. Ce qui permet d’économiser le sel (qui a un coût important, en rap- port avec les quantités nécessaires) mais surtout cette pratique évite de polluer les cours d’eau… Nous arrivons à Vík et filons à la plage : c’est un hot spot pour les photographes, avec son sable noir et ses aiguilles de basalte effilées, appelées Reynis- drangar, qui percent la mer au pied des falaises du Reynisfjall… La plage est partiellement couverte de neige, ce qui accentue l’originalité des paysages. Nous tentons quelques images en pose longue. Nous regrettons que l’embouchure du Víkurá, le petit cours d’eau qui traverse le village, ait été endigué depuis 2010 : le parcours tortueux de l’eau à travers la plage noire
offrait un premier plan idéal… Même l’Islande est atteinte par l’« aménagite » aigüe, cette maladie contagieuse qui saccage progressivement la planète. Une fois de plus, la beauté des paysages est sacrifiée sur l’autel du progrès. Ceci dit, j’ai cru comprendre que la côte est ici soumise à une érosion intense, et j’imagine que cette digue a été construite pour la limiter. Elle me semble quand même une dérisoire solution, compte tenu de la puissance des processus naturels ! Nous rejoignons ensuite l’auberge de jeunesse de Vík, qui, comme d’habitude, est bien remplie. Après le dîner, la petite promenade nocturne jusqu’à la fameuse église qui domine la baie nous ravit.
En baut : à gauche, Vik ; à droite, lac Heiðarvatn. En bas : à gauche, sur les pentes glacées du Hatta ; à droite, la baie de Vik.
Mercredi 4 février Une randonnée exposée
Durant la nuit, il a plu et le vent soufflait fort : une bonne par- tie du manteau neigeux a disparu autour du village. À l’accueil, on nous a donné un petit document décrivant une randonnée en boucle autour du Hatta (512 m), ce sommet acéré qui do- mine Vík. La carte est indigente, mais avec les explications du jeune qui tient l’accueil, nous devrions nous en tirer… En plus, le sentier est balisé avec des piquets en bois. La pluie et le vent ont cessé, et il y a même quelques éclaircies : parfait! À
pied, nous empruntons une piste qui s’élève derrière l’auberge. Les vues sur la baie de Vík (ce qui est un pléonasme puisque Vík signifie baie…) se dévoilent puis la piste s’approche de la N1, que nous finissons par rejoindre. Nous la suivons sur 1 km, jusqu’à un passage sur la droite qui nous permet de traverser la clôture. Une sente rejoint au nord-est le Víkurá que nous traversons. La sente piquetée s’élève sur sa rive gauche vers le nord, nous traversons une vingtaine de minutes plus tard un petit affluent, puis nous rejoignons une vague piste jeepa- ble qui s’élève globalement vers l’est–nord–est. Par moment, la neige est colorée de poussières brunes, provenant probable- ment de l’éruption en cours du Bárðarbunga ou de Holuhraun. Avec l’altitude, la neige est de plus en plus présente, et la piste disparaît par moment sous les névés. Enfin, nous atteignons un plateau, et en nous approchant de sa bordure nord, nous découvrons le magnifique lac Heiðarvatn complètement gelé, et au deuxième plan les vastes contreforts du Mýrdalsjökull, calotte glaciaire de 600 km² d’extension. Cette dernière est masquée par les nuages. Nous suivons les piquets vers le sud, d’abord presqu’à plat, puis l’itinéraire commence à s’attaquer au versant est du Hatta. La météo a commencé à se dégrader,
La plage de Reynisfjara et au loin les aiguilles de Reynisdrangar.
un violent vent du nord accompagne des bourrasques de neige. Nous atteignons un épaulement déneigé, l’itinéraire suit son fil vers l’ouest en suivant de vagues traces de 4x4. À première vue, la progression devrait être facile, la pente est assez douce. Sauf que la neige déblayée par le vent a laissé la place à de larges facettes de glace pentues ourlées d’un mince cordon végétalisé : on dirait un vitrail. Lorsqu’une bourrasque sévit, il est impossible d’avancer sans tomber. Les quelques centai- nes de mètres à parcourir sur cette patinoire en pente prendra beaucoup de temps. Puis nous atteignons un champ de neige, et la progression devient facile. Nous approchons des escarpe- ments rocheux dominés par le sommet lui-même, mais nous renonçons à son ascension à cause de la violence du vent. Nous rejoignons la crête qui surplombe plein nord le village de Vík. Nous suivons cette crête sur son flanc est, traversons un ravin puis longeons une clôture qui file vers le sud-est. De nouveau, les facettes de glace ralentissent la progression. Finalement, nous rejoignons la crête dans un secteur moins rocheux. La vue sur la baie, sur le Mýrdalssandur et sur le Hjörleifshöfði (ce promontoire de 221 m qui émerge du sandur) est vraiment originale. Dommage que les contre–jours en altèrent l’intérêt
photographique. Sous la crête, une congère courte mais très raide semble être le seul passage pour rejoindre Vík sans trop de détours. Mais gare : un mauvais pas et on termine dans la barre rocheuse au pied du névé. Je descends face au versant en formant de belles marches et je guide Jeanet qui me suit de près. Puis nous suivons une sente dans l’herbe. Le versant est très pentu mais, je l’ai déjà remarqué, cette herbe orange est rugueuse, elle n’est pas du tout glissante et, au contraire, les semelles s’y accrochent. Rien à voir avec le gispet, cette fétuque pyrénéenne qui a provoqué pas mal de glissades in- contrôlées, voire d’accidents graves ou mortels. Nous rejoi– gnons sans problème le village, contents de notre virée. Nous recommandons cet itinéraire, mais il est vrai qu’à cette saison, il vaut mieux avoir un peu d’expérience montagnarde pour le tenter. Nous nous dirigeons vers la « zone commerciale » de Vík (station service + magasin de laine et de souvenirs) avec pour projet d’y déguster une soupe islandaise. De nombreux cars stationnent, ça grouille de touristes, et la cafétéria est tristement banale : est-ce vraiment cela que nous cherchons ? Nous préférons rejoindre la plage pour pique-niquer (à 16 h 00 ! Durant la balade, nous n’avions pas trouvé les conditions fa-
vorables). Sur la plage, plus de neige ! Nous avons bien fait de réaliser notre séance photo hier en arrivant ! Sur le chemin du retour à l’auberge, nous devons contourner les énormes fla- ques d’eau que la neige fondante a formées.
La plage de Reynisfjara et au loin les aiguilles de Reynisdrangar.
Jeudi 5 février
Les falaises de Dyrhólaey
Nous rejoignons le Brydebúð, ce musée largement consacré au
volcan Katla. Manque de chance, il est fermé à cette saison. Déjà, au printemps 2010, nous avions trouvé porte close. Nous prenons la route sous un ciel sombre vers Dyrhólaey, une ex-île aujourd’hui en continuité avec la côte. Nous sommes arrivés tôt, et il n’y a pour le moment qu’une voiture stationnée sur le parking. Avec son environnement de toute beauté, c’est un haut lieu touristique, qui accueille en outre à la bonne saison l’avifaune nicheuse classique des falaises islandaises, dont le très populaire Macareux moine. Aujourd’hui, nous ne verrons que des fulmars boréaux, très nombreux. De ce lieu, la vue est superbe sur la plage noire de Reynisfjara où déferle une gran- de houle du sud et les aiguilles de Reynisdrangar ! Nous em- pruntons un sentier qui s’élève en direction du phare à travers des pâturages. Au large, les vagues éclatent sur les îlots, dont certains sont
percés de part en part. Nous rejoignons l’extré–
mité de la presqu’île sous laquelle se trouve la fameuse arche qui fait la célébrité du site. Les fulmars, qui ne manifestent aucune crainte, nous rasent parfois à moins d’un mètre. Le vent est soutenu et il est périlleux de s’approcher du bord de la falaise, mais le spectacle de la houle déferlante une centaine de mètres sous nos pieds vaut le coup d’œil. Tout à coup, un rayon de soleil perce le plafond bas : il apporte une tache colo- rée contrastant dans un paysage dominé par le noir et le blanc. Après avoir rejoint le phare, nous redescendons vers le parking puis nous rejoignons la plage attenante qui est maintenant ac- cessible : c’est le jusant. Il faut toutefois rester vigilant, parfois des vagues plus grosses que la moyenne couvrent les galets jusqu’aux parois de basalte. L’univers graphique composé par cette plage de galets mouillés surmontée de parois d’orgues de basalte est très inspirant, nous pourrions nous installer ici quelques heures tellement il y a à voir… Mais nous remontons vers la voiture, c’est l’heure du piquenique. Nous nous instal– lons sur de gros rochers qui dominent la plage de Reynisfjara et j’en profite pour faire quelques images en pose longue. La lumière évolue progressivement, le ciel chargé laissant place peu à peu à une éclaircie, ce qui fait que la série d’image offre
toute une palette d’ambiances très intéressantes. Nous quit- tons à contre cœur Dyrhólaey, nous aurions pu y rester 24 heu- res sans nous ennuyer aucunement… Et nous nous arrêtons tous les 500 mètres, tellement les sujets d’intérêts se succèdent. Nous visitons la grotte de Loftsaslahellir, où se développe une végétation de mousses et de lichens curieusement exubérante. De la grotte, le point de vue est très original… Nous rejoi- gnons la N1, que nous quittons presque aussitôt pour suivre une piste afin de rejoindre la plage s’étendant à l’ouest de Dy– rhólaey. L’idée est de découvrir son arche selon un autre point de vue. Mais la piste se termine devant une ferme équestre et nous hésitons à affronter les chiens et la boue, qui sont très présents en ce lieu… Déçus, nous reprenons la N1 pour re- joindre en une vingtaine de kilomètres Skógar où nous avons décidé de passer la nuit. Nous comptons dormir à l’auberge de jeunesse, dont l’accueil est assuré par l’hôtel Skógafoss tout proche. Nous ne savions pas encore que ça allait être le par- cours du combattant pour obtenir satisfaction… À l’accueil, la jeune fille nous apprend que l’auberge est complète ! Nous y retournons, je souhaite interroger la tablette pour trouver un hébergement dans le secteur. J’entre dans l’auberge pour
La célèbre arche de Dyrhólaey.
essayer de trouver son code Wifi., mais je tombe sur une per- sonne qui s’avère être le gérant. Quand je lui apprends qu’à l’accueil on m’a annoncé que l’auberge est complète, le gérant stupéfait m’y accompagne, puis disparaît après avoir échangé quelques mots avec la jeune fille : il y a évidemment deux pla- ces pour nous. Je m’acquitte de 9800 ISK et je rejoins triom– phalement Jeanet. C’est à son tour d’être stupéfaite, car je ne me suis pas aperçu que cette somme n’a rien à voir avec le tarif annoncé. Je retourne voir le gérant, qui m’accompagne de nouveau à l’accueil, et après s’être fait soufflé dans les bron– ches, la jeune fille me restitue 3000 ISK ! J’ai quelques doutes sur son avenir dans cet établissement… Après nous être ins- tallés, nous sortons pour une promenade. En slalomant entre les vastes flaques d’eau, nous nous approchons du musée de Skógar, et nous admirons ses maisons traditionnelles dans un environnement hivernal. Il y a quelques années, nous l’avions visité mais au printemps, et c’est alors le vert fluo qui dominait les paysages. Nous rejoignons Skógafoss et ce coup-ci, comme la glace a fondu, nous empruntons les escaliers jusqu’à la pla- teforme qui domine la cascade. Nous ne poursuivrons pas le sentier qui longe la rivière vers l’amont, car il est trop tard
En haut : à gauche, musée de Skógafoss ; à droite, les curieuses falaises de Seljavallalaug.
En bas : au pied de l’Eyjafjallajökull, les falaises dominant Sauðhúsvöllur.