Texte et photographies : Arnaud Grizard
Les grues du Der
Le lac du Der en Champagne est un haut lieu de rassemblement pour tous les ornithologues hexagonaux. Il est en effet un lieu de passage et de halte pour des dizaines de milliers de grues cendrées lors de leur migration nord-sud (et retour).
A ce titre, la LPO Champagne-Ardenne a créé en 1990 la Ferme aux Grues, dont le double objectif est premièrement, de fixer les oiseaux sur des terres mises à leur disposition pour éviter qu’ils ne fassent trop de dégâts aux cultures alentours, deuxièmement, de permettre aux amoureux des oiseaux de pouvoir observer et photographier les grues dans de bonnes conditions par la mise en place d’un observatoire et d’affûts.
C’est le récit de deux jours passés dans ces affûts à l’hiver 2009 que je vous propose de lire ici.
Tout commence un lundi après-midi de février. Je suis au bureau en train de travailler sur un fichier excel compliqué (du genre rempli de macros et de tableaux croisés dynamiques pour les connaisseurs) quand mon téléphone portable se met à vibrer dans ma poche de veste.
Je mets quelques secondes à comprendre que c’est le dame de la LPO qui gère la location des affûts qui m’appelle : « Bonjour Monsieur Grizard, je vous contacte concernant votre réservation pour dimanche et lundi prochain ; vous savez il y a eu une grande vague de départs ces derniers jours et il n’y a presque plus de grues sur le Der en ce moment et d’ici ce week-end il est possible que les quelques retardataires aient quitté le lac, je crois que vous devriez reporter votre séjour à l’année prochaine ».
Moi : « Non, ce n’est pas possible ! Je ne peux pas venir plus tôt. Tant pis, je tente le coup, on verra bien ce qu’il en est ».
Je ne dis rien à mon beau frère qui doit m’accompagner pour la première fois et que je ne veux pas décourager (la description des affûts et de la longue attente éventuelle a déjà eu un effet quelque peu refroidissant sur lui) mais secrètement, j’espère de tout cœur que les grues seront au rendez-vous car je ne veux pas reproduire mes journées d’affût de l’année précédente durant lesquelles les grues n’avaient fait qu’une courte (et même très courte) apparition.
Nous prenons la route samedi en milieu d’après-midi et nous arrivons à destination vers 19h. Il fait déjà bien sombre et nous ne voyons pas une seule grue traverser le ciel du Der.
Dimanche matin, le réveil sonne à 5h30, une petite douche rapide, on s’habille chaudement (il ne fait que quelques degrés ce matin) et nous descendons prendre notre petit déjeuner.
6h15, nous nous garons sur le parking de la Ferme aux grues et nous sortons notre matériel ; entre le sac photo, le trépied, le siège pliant, le sac à dos contenant la nourriture et la boisson, la paire de chaussures de rechange pour ne pas trop salir l’intérieur de l’affût, nous sommes chargés comme des mulets.
La nuit est claire et le jour ne va pas tarder, nous suivons le chemin jusqu’à l’affût N°3. Nous nous installons dans ce palace de 2m50 sur 2m et 1m30 de haut (sans doute l’affût le plus confortable car le plus spacieux).
7h, nous entendons le « flap-flap-flap » d’un coq faisan quelque part derrière nous et nous ne tardons pas à apercevoir les poules sur notre gauche. Elles ne sont pas loin d’une dizaine, il y en a un qui ne s’embête pas. C’est le moment d’essayer vraiment le 500 que j’ai reçu quelques jours plus tôt …….clac, clac, clac……le bonheur !!
7h30, des grues se font entendre dans le ciel … On les aperçoit, il y en a une dizaine. Elles tournent autour du champ et finissent par s’éloigner. Plusieurs groupes passent au dessus de nous sans s’attarder. Le doute m’envahit, la chance sera-t-elle de mon côté ?
8h, une petite vingtaine d’individus se pose sur la partie droite du champ, à une cinquantaine de mètres ; nous prenons nos premières photos de grues – au moins on ne sera pas bredouille.
Les grues sont agglutinées les unes aux autres … les interactions sont alors nombreuses mais il est difficile d’isoler les individus.
Toute la journée les grues cendrées vont et viennent d’une partie du champ à l’autre en alternant les périodes d’alimentation, de toilettage, de parade et de repos.
Si la chance nous a souri quant au nombre de grues, il n’en est pas de même pour le temps : le ciel, uniformément gris, a fini par déverser la pluie jusqu’alors absente.
A 18h15, alors que la luminosité commence à décliner fortement, sur un signal connu d’elles seules les grues quittent en masse la plaine pour rejoindre leur dortoir nocturne.
A 18h30, il est évident qu’elles ne reviendront plus et nous sortons de l’affût pour étirer nos dos cassés par 12h de station assise.
Lundi matin, « rebelote », à 5h30 le réveil nous sort de notre sommeil, déjà ! 6h25, nous sommes un peu en retard lorsque nous nous garons sur le parking. Le jour commence à se lever et nous entendons même (sans les voir) quelques grues.
Aussi chargés que la veille, nous nous hâtons alors vers notre affût du jour. Malgré la température plus fraiche qu’hier, nous avons vite chaud avec tout ce que nous trimballons. Nous traversons le champ alors qu’un premier groupe de grues apparaît au dessus de la cime des arbres à notre droite.
Vite, nous arrivons à l’affût N°1 …… beaucoup, beaucoup, beaucoup plus spartiate que le N°3 !!
Nous avons tout juste la place d’y rentrer toutes nos affaires et une fois installés, plus question de bouger sans devoir replier les trépieds et les sièges. Pour couronner le tout, un petit vent de face bien frais s’engouffre dans les nombreuses ouvertures (volontaires ou pas) de notre affût. Tant pis, on fera avec.
Dès 7h, les grues arrivent en masse, d’abord stationnées sur la gauche près du petit bois elles finissent vite par venir sur le champ où les grains de maïs semblent leur dire « mangez-nous, mangez-nous ».
Tiens, on entend le faisan, il doit être sur notre gauche, oui le voilà. Il traverse pour rejoindre son « harem » que l’on distingue de l’autre côté, près de l’affût où nous étions hier. Découragé par les nombreuses grues qu’il rencontre sur son chemin il fait demi-tour et retourne d’où il est venu.
Les grues sont au moins aussi nombreuses qu’hier mais elles s’approchent un peu plus prêt de nous ce qui nous permet de faire quelques plans serrés.
Faisan
Chevrette
La journée suit son cours. La météo est changeante et les pluies fines alternent avec les périodes d’accalmie, nous apercevons même de temps en temps des petits coins de ciel bleu et nous avons droit à de timides rayons de soleil.
Divers visiteurs nous distraient un peu de notre horizon de grues, c’est le cas d’une jeune chevrette qui se retrouve perdue au milieu de cet océan gris et qui tourne en rond sans trouver la sortie…..Si, ça y est, là ! Vite !!! Elle s’éloigne, sans aucun doute bien plus vite qu’elle n’est venue.
7h45, c’est le miracle, le soleil, sur son déclin, commence à passer sous la couche nuageuse et nous offre de magnifiques couleurs de contre-jour. Il faut en profiter, tenter d’isoler un individu ou un petit groupe, saisir au vol cette lumière éphémère « rosangée » (un subtil mélange de rose et d’orange) dont la disparition marquera sans nul doute la fin de notre attente.
Trois chevreuils traversent le champ sans se soucier des oiseaux, une buse (sans doute) patiente sur son perchoir au loin.
Ça y est, les grues s’envolent, aussi abruptement qu’hier, sans une alerte, sans un indice, il était juste l’heure d’y aller.
Nous sortons de l’affût, encore plus courbaturés que la veille.
Nous nous dirigeons vers notre véhicule en sachant qu’il nous reste encore trois bonnes heures de route avant d’être chez nous mais nous garderons en tête pendant tout le voyage ces dernières lumières magiques.